Poissons d’eau douce : loin des yeux, loin du cœur ?
Poissons d’eau douce : loin des yeux, loin du cœur ?
Saviez-vous que les espèces vivant dans les écosystèmes d'eau douce s'éteignent quatre à six fois plus rapidement que celles présentes dans l’océan ou sur la terre ? Pas moins d'un tiers des espèces de poissons d'eau douce sont menacées d'extinction. Pour inverser cette tendance, il est essentiel de porter davantage attention à ce qui se passe sous la surface de l'eau.
Moins de 1 % de l'eau de la Terre est de l'eau douce. Pourtant, ce petit pourcent abrite, à lui seul, plus de la moitié des espèces de poissons. Grâce à leur longue évolution, leur diversité et leurs nutriments abondants, les lacs, les rivières et les zones humides de notre planète sont des terrains fertiles pour la découverte de nouvelles espèces.
En 2022, pas moins de 201 nouvelles espèces d'eau douce ont été décrites par la science. Ces chiffres vous surprennent ? « Peu de personnes prennent le temps de penser à la vie sous la surface des écosystèmes d'eau douce de la Terre. Ils sont littéralement hors de vue, hors de l'esprit et oubliés », remarque Kathy Hughes, responsable de la biodiversité en eau douce pour la région Asie-Pacifique au WWF.
Et ce manque d’attention a un coût. Il a entrainé un taux d'extinction des espèces quatre à six fois plus élevé que dans les environnements marins ou terrestres. Il y a eu une diminution alarmante de 83 % de la taille des populations d'eau douce depuis 1970, contre une moyenne de 69 % pour l’ensemble des espèces. Les populations de poissons migrateurs ont diminué de 76 %. La liste inquiétante continue, avec près d'un tiers des espèces de poissons d'eau douce désormais menacées d'extinction. Et si nous continuons à perdre des espèces au rythme actuel, cela pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour les humains.
Pour protéger efficacement ce qui reste, « nous devons comprendre ce qui se trouve dans l'eau », explique Kathy. « Beaucoup de ces espèces ont une valeur dont nous n’avons pas idée. La riche biodiversité forme un écosystème, et chaque espèce a son propre rôle important à jouer. » Penez à une tour de Jenga : enlevez un bloc, sa stabilité est compromise. Enlevez trop de blocs, ou un bloc crucial, et tout s'effondre.
Découverte de nouvelles espèces : un art en voie de disparition
« Si je demande à quelqu'un où il pense que la majorité des espèces non découvertes vivent, il répond toujours que c'est en haute mer », remarque Ralf Britz, ichtyologiste (biologiste qui étudie les poissons) et taxonomiste (scientifiques qui étudient la classification et l’identification des espèces) au Musée des sciences naturelles de Londres. « Bien sûr, ils se trompent ! ».
Ralf estime que près de 30 % des espèces en eau douce ne sont pas encore décrites par la science. Malheureusement, de nos jours, les taxonomistes sont aussi rares que certaines des espèces qu’ils décrivent. Les ressources pour le travail sur le terrain et la découverte de nouvelles espèces sont également rares. Par conséquent, le nombre de nouvelles espèces décrites chaque année est artificiellement limité.
La découverte et la description de nouvelles espèces sont essentielles pour la conservation de la nature. Imaginez un instant qu'une espèce que nous considérions comme largement répandue se révèle en réalité être composée de plusieurs espèces distinctes. Si nous pensons qu'il s'agit d'une seule espèce, nous pourrions ne protéger qu'une seule zone. Les autres espèces seraient alors exclues de cette zone protégée, avec tous les risques que cela comporte.
Connaître pour mieux protéger
La recherche et la description de nouvelles espèces sont importantes non seulement pour les espèces elles-mêmes, mais aussi pour nous autres, humains. Car dans l'ensemble, nous ne pouvons qu'être gagnants si nous protégeons nos rivières et toutes les espèces qui y vivent.
Les rivières sont des écosystèmes très diversifiés et productifs. Elles contribuent à la croissance économique, à la sécurité alimentaire et au bien-être humain. Quelque deux milliards en dépendent directement pour leur eau potable.
Les cours d'eau constituent également l'une des pêcheries les plus productives au monde et assurent la subsistance de 60 millions de personnes. Au moins 12 millions de tonnes de poissons d'eau douce sont pêchées chaque année. Cela représente environ 12 % du total des captures de poissons dans le monde.
Vous l’aurez compris : les rivières, les lacs, les zones humides et les ruisseaux de notre planète abritent une richesse de biodiversité inestimable. Cependant, à moins que nous ne protégions mieux nos écosystèmes d'eau douce, de nombreuses espèces disparaîtront avant même que nous les découvrions. Les taxonomistes et les défenseurs et défenseuses de la nature courent contre la montre. Cela soulève la question des conséquences pour toute la vie sur Terre si nous laissons des espèces s'éteindre sans même comprendre le rôle qu'elles jouent dans nos écosystèmes essentiels.
Pouvons-nous nous permettre de le découvrir trop tard ?
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