Leurs voisins les éléphants, un défi quotidien

Leurs voisins les éléphants, un défi quotidien

Régulièrement, les éléphants de Sioma N’Gwezi (Zambie) quittent leur habitat protégé pour rejoindre la rivière Zambezi. Sur leur chemin, ils croisent villages, routes, champs. Entre le besoin vital d’eau des animaux et la sécurité des habitant·es, les rencontres tournent parfois au conflit. Comment concilier cohabitation pacifique et survie ? Avec inventivité et patience, nous imaginons des solutions innovantes avec les populations locales.

Le parc national de Sioma N’Gwezi, en Zambie, n’accueille que très peu de points d’eau permanents. Et par moments, ils se tarissent. Or, les éléphants ont besoin d’eau, beaucoup d’eau. 100 litres par jour pour boire, se laver, se rafraichir, c’est un minimum. Et puis, c’est dans leur ADN, ils ont besoin de se déplacer. Leur valeur sûre ? La rivière Zambezi, source inépuisable. Seulement voilà : elle se situe à 15 kilomètres au-delà des limites Est du Parc national. Et de nombreuses embuches jonchent le parcours : plantations, villages, routes.

C’est ainsi qu’une horde de 200 éléphants s’est retrouvée à mi-chemin entre le Parc national et la rivière Zambezi, raconte Teddy Mukula, Programme Lead au WWF-Zambie. Pendant leur petite épopée, les pachydermes se sont octroyé une pause en plein milieu d’une route, bloquant par la même occasion la circulation et effrayant les populations locales. Pour s’en débarrasser, les habitant·es leur ont jeté des pierres. La plupart des animaux, en panique, se sont encourus. « En s’enfuyant, ils sont tombés nez à nez avec des plantations qu’ils ne connaissaient pas… Ils ont tout mangé, tout détruit. Une catastrophe pour les agriculteurs », déplore Teddy Mukula.

L’un des éléphants, blessé par l’agression, est resté seul derrière. « Or, un éléphant seul, de même qu’un éléphant avec un bébé, peut être très dangereux. C’est pour cela que le département du parc national a malheureusement décidé de l’abattre : il aurait pu blesser quelqu’un. »

Le cercle vicieux était enclenché. La peur bilatérale, la destruction des plantations, la mort inutile d’un éléphant. « Tout ça, ce sont des leçons à tirer. », explique Teddy Mukula. « La plupart des conflits émergent à partir d’agressions, ou d’un manque de compréhension des conséquences qu’elles peuvent engendrer. Sans attaque, les éléphants auraient simplement continué leur route, jusqu’à trouver de l’eau. Les animaux n’ont pas de stratégie machiavélique pour entrer dans un village ou détruire des plantations. Ils ont simplement besoin de boire et de se déplacer. »

Droit de passage

En Zambie, les animaux sauvages ont, c’est écrit dans la loi, un « droit de passage ». « C’est normal. Ils vivent là, depuis toujours. Et eux ne peuvent pas réfléchir à des moyens de changer leurs routes. Mais nous, si. On a des solutions : attendre, trouver des chemins alternatifs, créer des routes plus stratégiques qui ne coupent pas des lieux de passage à faune courants... Ou protéger ce qui se trouve sur leur passage. »

La sensibilisation est salutaire, afin d’apaiser les craintes des populations locales. « Les éléphants ne sont pas agressifs en soi – mais ils se défendent. Jetez leurs des cailloux et il y aura des soucis, à coup sûr. En aucun cas ça ne résoudra le conflit. »

Des solutions pacifiques pour et avec les communautés locales

Pour inverser ce cercle vicieux, tout commence par une question simple : par où passent les éléphants ?

Les habitant·es autour du parc connaissent la réponse depuis toujours. Ils savent quels champs les troupeaux traversent, quels sentiers ils empruntent à la saison sèche, où ils se dirigent quand l’eau se fait rare. Leur mémoire collective est précieuse. C’est elle qui a permis de poser les premières pierres du projet.

L’équipe du WWF est ensuite venue compléter ce savoir local avec la science : des colliers GPS posés sur plusieurs éléphants ont confirmé l’existence de véritables corridors de déplacement. Certains relient simplement le Parc national à la rivière Zambezi, vitale pour les animaux. D’autres, plus vastes, franchissent les frontières jusqu’en Namibie ou en Angola. Qu’il s’agisse d’instinct nomade ou de survie, une chose est sûre : les éléphants ont besoin de bouger.

Agir ensemble : protéger sans bloquer

Une fois que des réponses à la première question sont trouvées, il reste la plus compliquée : comment protéger les cultures et les populations locales, sans couper la route des éléphants ?

La solution la plus efficace est l’installation de clôtures électriques alimentées par l’énergie solaire. C’est l'une des initiatives que le WWF finance depuis plusieurs années.

Et là où ces clôtures sont en place depuis trois ou quatre ans, les résultats sont édifiants : plus de sécurité pour les familles, moins de pertes agricoles, et un respect renforcé des routes naturelles des éléphants.

Pour un résultat durable, les habitant·es sont formés à réparer et à entretenir les clôtures. Certains deviennent de véritables relais locaux, capables de transmettre ce savoir à leur tour.

À côté des clôtures électriques, d’autres solutions voient le jour. Les plantations de piment, par exemple : les éléphants détestent son odeur. Si une matriarche rebrousse chemin, tout le troupeau suit. « C’est une barrière bon marché, et les récoltes de piment peuvent même être revendues par les paysans. », explique Teddy Mukula. En saison sèche, des briquettes de bouse de vache mélangée à du piment servent aussi à éloigner les animaux. Trois projets pilotes ont déjà démontré l’efficacité de ces nouvelles méthodes.

Nouvelles routes, nouveaux défis

Mais la cohabitation ne reste jamais figée. Le changement climatique modifie la donne. Les points d’eau s’assèchent, les mares deviennent plus rares. Les éléphants doivent alors chercher de nouveaux refuges.

Ils évitent en général les zones trop humaines, préférant les lieux où l’eau est encore accessible et où les humains sont peu présents. Mais d’autres facteurs peuvent bouleverser leurs habitudes : la présence de braconniers, par exemple, les pousse aussi à fuir. Résultat : leurs routes évoluent constamment. Ce qui était un corridor sûr hier peut être abandonné demain, et une nouvelle route, imprévue, peut apparaître. Les équipes doivent sans cesse réévaluer les déplacements et adapter les protections.

« Il y a deux ans encore, les éléphants ont découvert un nouvel endroit où la population n’avait plus vu d’éléphant depuis au moins 16 ou 17 ans. Elle n’était pas préparée. Quatre personnes ont perdu la vie. Les habitants sont tristes, en colère, et ils attendent des solutions. » C’est pourquoi la clé du projet, ce n’est pas seulement la technologie, mais surtout la communication et la collaboration avec les communautés.

Au final, c’est une course d’adaptation permanente : comprendre les éléphants, agir avec les populations locales, et s’ajuster aux nouvelles routes qu’imposent le climat et les menaces humaines.

Vous souhaitez participer à ce projet essentiel en Zambie ? Adoptez symboliquement un éléphant et donnez-nous les moyens de continuer à protéger communautés locales et animaux sauvages.