Les poissons d’eau douce d’Afrique, trésors oubliés et menacés

Les poissons d’eau douce d’Afrique, trésors oubliés et menacés

3 281 : c’est le nombre d’espèces de poissons d’eau douce recensées dans les innombrables lacs et rivières d’Afrique. Ils font vivre de nombreux écosystèmes et sont essentiels à la subsistance de millions de personnes. Surtout, chacun d’entre eux présente des caractéristiques remarquables. Mais leurs populations s’effondrent : nous avons besoin d’un plan d’urgence.

Si on vous dit biodiversité d’Afrique, à quoi pensez-vous spontanément ? Sans doute aux animaux iconiques de la savane — lions, éléphants, girafes, hippopotames... Ou peut-être à la grande forêt tropicale du bassin du Congo ? Voire aux pingouins et grands requins blancs d’Afrique du Sud. Mais il y a fort à parier que personne, ou presque, n’aura cité les poissons d’eau douce.

Et pourtant ! Notre nouveau rapport recense pas moins de 3 281 espèces de poissons vivant dans les rivières et lacs africains. Et ce n’est qu’une estimation : chaque année, la science continue d’en découvrir. Rien qu’en 2024, 28 nouvelles espèces ont été décrites !

Leur diversité est donc remarquable, et leur rôle, crucial, à la fois pour l’équilibre des écosystèmes et pour les millions de personnes qui en dépendent. Mais voilà : selon le nouveau rapport, une espèce de poisson d’eau douce sur quatre (26 %) est aujourd’hui menacée d’extinction en Afrique — un chiffre lui aussi sans doute sous-estimé, faute de données suffisantes.

« Lorsque ces poissons disparaissent, ce ne sont pas que des espèces qu’on perd : ce sont des moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, l’équilibre des écosystèmes, et la résilience face aux inondations ou à la sécheresse. Leur déclin est un signal d’alarme pour la santé de nos écosystèmes d’eau douce, ces véritables systèmes de survie pour les humains comme pour la nature », alerte Eric Oyare, responsable eau douce au WWF-Afrique.

Il est donc urgent de mieux les connaître… pour mieux les protéger.

Une richesse unique, trop souvent négligée

L’Afrique est largement absente des grandes discussions internationales sur la conservation des milieux aquatiques. Pourtant, ses poissons d’eau douce sont tout à fait remarquables. Parmi toutes les espèces extraordinaires qui nagent dans les lacs et rivières d’Afrique, en voici un aperçu :

Les poissons-éléphants, une famille carnivore qui compte 232 espèces. Grâce à leur trompe mobile, ils attrapent de petits crustacés ou insectes. Leur cerveau est particulièrement gros et grâce à des organes spécifiques, ils utilisent des champs électriques pour repérer proies, obstacles et partenaires dans l’obscurité.

Poisson-éléphant

Les poissons killis, petits poissons aux couleurs vives, dont les œufs sont capables de suspendre leur développement pendant la sécheresse. Déposés dans la boue qui finit par s’accrocher aux pieds d’éléphants ou autres herbivores, ils sont transportés vers d’autres points d’eau. Une fois lavés par l’eau claire, leur développement reprend. Fait incroyable : on peut directement lier la baisse de leur population à la baisse de celle des éléphants autour du fleuve Zambèze. 

Killifish

Le dipneuste africain peut respirer tant dans l’eau qu’en dehors de l’eau, et survivre des années enfoui dans la boue !

African Lungfish

Le cichlidé aveugle vit dans des grottes aquatiques souterraines du bassin du Congo (sur la photo, un cichlidé du lac Malawi, une autre sorte de la même famille).

Cichlid

Les bichirs, apparus bien avant les dinosaures, sont de véritables fossiles vivants.

Bichir

Le poisson-tigre africain, redoutable prédateur aux mâchoires puissantes et aux dents acérées.

Tigerfish

Chacun à leur manière, ils jouent un rôle clé dans la santé des écosystèmes : certains sont des prédateurs, d’autres des herbivores ou des recycleurs de nutriments. Ils sont aussi au cœur de la pêche artisanale, essentielle pour des millions de familles africaines, notamment les plus vulnérables.

Un plan d’action d’urgence nécessaire

Mais cette richesse est menacée de toutes parts : destruction des habitats, pollution, espèces envahissantes, surpêche, changement climatique… Résultat : les populations de poissons d’eau douce s’effondrent. Dans la plaine inondable du Zambèze, les captures de certaines espèces ont chuté de 90 %. Le chambo du lac Malawi — un poisson emblématique, figurant même sur les billets de Kwacha — a décliné de 94 %.

Face à ce constat, le WWF appelle les gouvernements africains et tous les acteurs concernés à adopter un Plan de relance d’urgence pour la biodiversité en eau douce, fondé sur la science et l’expérience de terrain.

La priorité est de laisser les rivières couler plus librement (sans barrages), d’améliorer la qualité de l’eau, de protéger ou restaurer les habitats critiques et les espèces clés, de mettre fin à l’exploitation non durable et de contrôler les espèces exotiques envahissantes.

Des signes d’espoir, portés par les communautés

Heureusement, certaines initiatives locales montrent que le changement est possible. En Tanzanie, en Zambie, en Namibie ou ailleurs, des projets communautaires réussis — comme la création de zones de reproduction protégées ou la gestion partagée des pêcheries — montrent la voie.

« Il est temps d’arrêter de considérer les poissons d’eau douce comme un détail », insiste Nancy Rapando, responsable alimentation durable au WWF-Afrique. « Ils sont au cœur de la biodiversité, du développement et de l’avenir du continent. »

Une opportunité à saisir à la Conférence de Ramsar

Ce rapport arrive à un moment clé : la 15e Conférence des Parties à la Convention de Ramsar sur les zones humides (COP15) se tiendra au Zimbabwe, du 23 au 31 juillet 2025. Elle réunira gouvernements, scientifiques et ONG pour répondre aux menaces qui pèsent sur les écosystèmes d’eau douce.

Les pays africains ont là une occasion unique de montrer l’exemple, en mettant les poissons et les milieux aquatiques au cœur des décisions de conservation et de développement.

« L’avenir des rivières et des poissons d’Afrique est indissociable de celui de ses peuples », conclut Itai Chibiya, directeur du WWF Zimbabwe.

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