Espoir pour le crocodile du Siam

Espoir pour le crocodile du Siam

Quand une espèce présumée éteinte refait surface après 10 ans d’absence, l’espoir renait. C’est ce qui est arrivé dans les plaines orientales du Cambodge, où nos collègues ont découvert une petite population de crocodile du Siam, espèce en danger critique d’extinction.

Le crocodile du Siam vit encore dans les plaines orientales du Cambodge. Il y a seulement un an, cette affirmation n’était encore qu’un souhait que l’on osait à peine murmurer. Mais voilà : aujourd’hui, nous avons des preuves qu’une population de cette espèce classée « en danger critique d’extinction » sur la liste rouge de l’IUCN subsiste et se reproduit dans la région.

Crocodile du Siam, éboueur des rivières

Le crocodile est une espèce clé-de-voûte : s’il est présent, cela signifie que l’écosystème se porte bien. Il maintient un équilibre écologique, en évitant la prolifération de grenouilles et de serpents, et en nettoyant la rivière de ses cadavres. Cela implique également qu’en investissant pour la protection de l’espèce, toutes les autres qui dépendent de son environnement de qualité, sans pollution et sans braconniers, en bénéficient.

Disparu à cause des braconniers

Le crocodile du Siam était autrefois très répandu en Asie du Sud-Est. Mais convoité sur le marché noir pour sa peau fine et souple, il a cependant disparu de la majeure partie de son aire de répartition au début des années 1990. Le Cambodge est un bastion pour l'espèce, avec une estimation de 200 à 400 individus restant à l'état sauvage. La population mondiale totale ne dépasse pas 1 000 individus matures.

Siamese Crocodile

À la recherche des crocodiles avec notre biologiste

Milou Groenenberg est responsable de la recherche et de la surveillance de la biodiversité au WWF-Cambodge. En quatre ans de travail sur le terrain, elle n’a pas connu beaucoup de répit. Entre le braconnage, le changement climatique et la crise sanitaire, ces années ont apporté leur lot de mauvaises nouvelles… Pourtant, pas question de baisser les bras. En 2019, la biologiste et son équipe décident de prendre les choses en mains pour répondre à cette question, restée trop longtemps sans réponse : le crocodile du Siam a-t-il disparu de la région ?

« Dans les plaines orientales, nous avons toujours considéré le crocodile du Siam comme une espèce prioritaire. Nous avions réussi à l’immortaliser sur des pièges photographiques en 2004 et 2008. Mais depuis, plus de trace… On espérait que quelques-uns auraient peut-être survécu, mais sans aucune certitude. Partout, les populations de ce crocodile sont en déclin. »

La menace du barrage au Vietnam

Malgré tout, l’espoir restait faible de trouver des indices de vie. « Un grand barrage a été construit au Vietnam, en amont de cette rivière-là. Et les barrages, comme on le sait, peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la qualité de l’eau, mais aussi sur le flux d’une rivière, et donc sur tous leurs habitants. Je m’imaginais donc que même si une population de crocodiles avait survécu, les nouveaux nés n’auraient pas beaucoup de chance de survie avec le flux important de la saison humide », explique Milou.

Pour autant, ils veulent en avoir le cœur net. « Nous avons interrogé les populations locales et les écogardes. Certaines personnes nous ont alors renseigné quelques pistes intéressantes et, en recoupant nos informations, nous avons décidé de resserrer nos recherches sur certains endroits. »

Une vieille déjection vaut mieux que deux tu l’auras

Milou organise la formation des écogardes, afin que chacun et chacune apprenne les spécificités de l’espèce, de son comportement, et sache reconnaitre ses empreintes et déjections. Un vrai travail d’enquête ! Et une mission difficile, puisque les marques de passage sont éphémères, l’animal vivant dans l’eau.

« Notre première sortie sur le terrain, après la formation théorique, était incroyable. Quand nous sommes descendus des bateaux de recherche, la première chose que nous avons trouvée était… une vieille déjection de crocodile ! »

Regonflée à bloc de cette découverte fécale, Milou ne tarde pas à amplifier l’ambition de ses recherches : impossible de s’arrêter si proche du but ! « Nous avions ce qu’il faut pour lancer une recherche intensive pendant la saison sèche. En tout, nous avons arpenté 370 km de berges, rivières et lacs, en 2021. »

Et puis un jour… des bébés crocodiles

Pendant la saison d'éclosion, l'équipe de recherche effectue un suivi régulier sur le terrain. L’une des méthodes consiste à rechercher l’animal la nuit, à l’aide de lampes pour voir briller ses yeux. Sothea Bun, l'un des membres de l'équipe de recherche, se souvient :  « Le moment le plus excitant est arrivé lorsque l'un des membres de notre équipe a repéré pour la première fois l'éclat des yeux des crocodiles en train d'éclore ! ».

Milou est immédiatement prévenue. « C’est la meilleure nouvelle que j’ai reçue depuis mon arrivée ici. J’étais à la maison et mon assistant de recherche m’a envoyé une photo : des bébés crocodiles ! Je n’en revenais pas. J’étais si étonnée qu’ils n’aient pas été braconnés jusqu’au dernier, mais encore plus étonnée que la population se reproduise et survive ! Cerise sur le gâteau, les neuf crocodiles du nid étaient déjà assez grands. Cela signifiait qu’ils avaient survécu à la crue de la saison humide, et au barrage du Vietnam. Et ça aussi, c’était une excellente surprise ! »

Pas sans danger : la recherche d’ADN

Cette découverte est de taille : il s’agit de la première preuve en plus de dix ans qu’une population reproductrice habite la région.

La dernière étape de cet enchaînement de bonnes nouvelles était de confirmer qu’il s’agissait bien de crocodiles du Siam, cette espèce en danger critique d’extinction. Car les fermes de crocodiles existent dans la région, et une hybridation n’était pas exclue.

« J’ai mené l’expédition pour les voir de mes propres yeux. Nous avions un peu peur, car nous il s’agissait de prélever un petit peu d’ADN sur l’un des petits, avec le risque d’alarmer la mère… un animal qui peut faire plus de trois mètres de long ! Heureusement, tout s’est très bien passé. La mère ne nous a pas repérés, le petit a très vite été relâché et… nous avons pu confirmer qu’il s’agissait bien de purs crocodiles du Siam ! »

Vivre dans les plaines orientales du Cambodge

Maintenant que nous avons la certitude de leur existence, il s’agit d’assurer leur survie. « Les crocodiles ont très bien choisi leur lieu de vie. Il est situé dans l’une des zones les plus protégées de la région. Dans cette partie, toute activité humaine y est interdite, à part les patrouilles d’écogardes et la recherche scientifiqueEt grâce aux pièges photographiques placés dans la zone entre-temps, nous avons découvert que cette rivière et ses berges abritaient une biodiversité fabuleuse ! Des macaques, des éléphants, des cobras, des dôles, etc. »

La survie et la protection des jeunes crocodiles et de leur habitat sont assurées jour et nuit grâce aux patrouilles d’écogardes, ainsi qu'à l'engagement communautaire des villages environnants.

Et puis ? La prochaine étape n’est encore qu’un rêve. « Nous est venue l’idée très excitante qu’il fallait renforcer la population. Malgré les bonnes nouvelles, ce n’est qu’une petite population. Et l’endroit est très isolé ; la diversité génétique doit être assez faible. »

Si les fonds manquent encore pour mettre pareil projet sur pied actuellement, la sauvegarde de la population actuelle offre déjà de belles perspectives. Et suscite l'espoir de la survie du crocodile du Siam à l'état sauvage, non seulement au Cambodge, mais partout dans le monde.

En avril dernier, les membres de l'équipe ont suivi deux jours de formation supplémentaires afin de se préparer au travail de terrain. Au programme : repérage des yeux de crocodiles à l'aide de lampes et patrouilles dans les habitats le long de la rivière Srepok.

Siamese crocodile field team
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