Récit d'une mission mouvementée en Centrafrique

Récit d'une mission mouvementée en Centrafrique

Jerome Laycock est gestionnaire de projets internationaux au WWF-Belgique et travaille également pour TRAFFIC – le réseau de surveillance du commerce illégal des espèces sauvages. Il revient pour nous sur son séjour mouvementé en Centrafrique au mois d’octobre.

 

« Depuis avril 2013, la République centrafricaine connaît une profonde crise politique. Des rebelles, les Selekas, contrôlent la partie nord du pays et en profitent pour saccager les parcs nationaux et les ressources naturelles du pays. La plupart de ces parcs se trouvent dans des zones de non-droit. Mais au sud également, le parc national du Dzanga Sangha, auparavant un joyau du bassin de l’Afrique centrale, subit aujourd’hui les affres du pillage.

C’est dans ce contexte difficile que je me suis rendu à Bangui, la capitale du pays, pour rencontrer les autorités et les convaincre de rejoindre le projet Africa-TWIX (Trade in Wildlife Information eXchange), un réseau de coordination des agences ministérielles qui luttent contre le commerce illégal des espèces. Mené par TRAFFIC [1] depuis octobre 2015, ce projet est soutenu sur place par le WWF et financé par la GIZ, le USFWS et le WWF. Déjà implémenté au Cameroun, au Gabon, en RDC et en République du Congo, Africa-TWIX a permis d’ouvrir plusieurs enquêtes internationales à la suite d’importantes saisies d’espèces menacées [2].

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L’ambiance est plutôt tendue à Bangui. Peu après mon arrivée, des protestations éclatent dans la capitale pour réclamer le départ des Casques bleus. Je suis dans ma chambre d’hôtel lorsque j’entends les premiers coups de feu. Toute la journée, des hélicoptères survolent le quartier, où des barricades se forment à chaque carrefour stratégique. Les seuls véhicules qui circulent sont ceux des Casques bleus, des sortes de tanks équipés de mitrailleuses. Les rumeurs d’agressions à l’encontre des membres des ONG vont bon train. Interdiction totale de sortir de l’hôtel. Mais, malgré le sentiment général d’insécurité, l’atmosphère au sein du restaurant de l’hôtel où nous sommes confinés est relativement paisible.

Bilan : 4 morts et plusieurs blessés. L’ensemble des réunions prévues sont annulées. Au cours des jours suivants, la situation se rétablit peu à peu et nous décidons de planifier de nouveaux rendez-vous. Lorsque l’on effectue des missions dans ce genre de pays, on apprend à prévoir des jours supplémentaires pour plus de flexibilité.

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Après avoir discuté avec plusieurs officiels du pays lors de ces réunions, je perçois encore plus l’urgence d’agir pour préserver la biodiversité du pays. Selon eux, tandis que les Selekas pillent les réserves d’Ivoire saisies pour les échanger contre des armes, des mercenaires soudanais et tchadiens continuent à traverser le pays en toute impunité pour se servir dans les parcs nationaux. Les directeurs de la gendarmerie me racontent, assez émus, qu’ils doivent régulièrement enterrer les carcasses d’éléphants retrouvés décapités. Les agents d’Interpol et les policiers m’expliquent à quel point la guerre nuit à la nature de leur pays. Ils n’espèrent qu’une chose : le retour de la paix afin de pouvoir enfin protéger les zones naturelles et les espèces qu’elles abritent. Et tandis qu’ils me parlent de leur biodiversité, je lis dans leurs yeux une fierté infinie.

C’est exactement pour cela que le WWF, en collaboration avec TRAFFIC et ses autres partenaires, continue à se battre pour lutter contre le braconnage et le commerce illégal, qui sont à l’origine du massacre de nombreuses espèces et alimentent des réseaux criminels internationaux. En Afrique, en Asie, mais aussi dans les pays occidentaux, nous nous battons pour protéger les espèces dans leurs habitats naturels et diminuer la demande pour les espèces menacées dans les pays cibles du commerce illégal [3]. »

 

[1]. Africa-TWIX est inspiré du projet EU-TWIX, qui connecte depuis 2005 plus de 900 personnes impliquées dans la lutte contre le commerce illégal en Europe.

[2]. Pour plus d’informations sur TRAFFIC : www.traffic.org/news-french (FR) ou www.traffic.org (EN)

[3]. Rappelons que, bien que le braconnage et le commerce illégal des espèces contribuent à l’extinction de nombreuses espèces, ce sont avant tout la déforestation et la dégradation des habitats naturels, trop souvent initiées pour le confort des pays occidentaux, qui sont les plus néfastes pour une multitude d’espèces emblématiques.