Les forêts inondées du Mékong, première partie

Les forêts inondées du Mékong, première partie

Antoine Lebrun, CEO du WWF-Belgique, était au Cambodge pour visiter les projets de conservation du WWF dans la région des Forêts inondées du Mékong. Il nous fait part de ses impressions cambodgiennes en plusieurs épisodes.  

Mardi 10 octobre

Dans une pompe à essence sur la route de Phnom Penh à Kratie, pause déjeuner. Je passe mon tour…

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En fin de journée, arrivée à Kratie au bord du Mékong. Depuis la rive, on devine à peine l’autre bout du fleuve. C’est la fin de la saison des pluies, le niveau de l’eau est encore très haut. Le Mékong charrie une quantité impressionnante de boue, morceaux de bois et autres alluvions qui descendent tout droit de la partie chinoise de l’Himalaya. Bienvenue à Kratie, Cambodge.

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Vue sur le Mékong, depuis la rive, à Kratie.

Le Mékong abrite de nombreuses espèces rares voire endémiques et la plupart en danger d’extinction : le poisson-chat géant (Pangasianodon gigas) qui peut atteindre 3 mètres de long et près de 300 kilos ; la raie géante d’eau douce (Himantura polylepis) qui peut atteindre 2 mètres de diamètre et 600 kilos ; et enfin le dauphin de l’Irrawaddy (Orcaella brevirostris) en danger critique d’extinction dans le Mékong (environ 85 individus au Cambodge).

Communautés indigènes et ressources naturelles

Mercredi 11 octobre

Départ au petit matin. Il faut prendre le bateau et remonter le Mékong pour rejoindre la communauté forestière de Tonsong Tlak où nous rencontrons les représentants du village.

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Les eaux boueuses du Mékong...
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...Qui reste une voie de communication importante dans la région.

Le territoire de la communauté villageoise borde le « Prey Lang Wildlife Sanctuary », un des massifs forestiers les mieux préservés du Cambodge. C’est l’une des 8 communautés villageoise soutenues par le WWF parce qu’elles bordent les aires protégées de la région de Kratie. Ces communautés villageoises jouent en effet un rôle tampon entre les territoires voués au développement économique et agricole et ceux dédiés à la conservation de la nature. Il s’agit en outre et le plus souvent de communautés indigènes qui ont un droit historique sur la terre qu’ils occupent et pour qui la forêt ou le fleuve fournissent encore l’essentiel de leurs moyens de subsistance. Par notre travail, nous aidons ces communautés à faire reconnaître leurs droits sur leurs terres, protéger les forêts et rivières contre le braconnage, la coupe de bois et la pêche illégales, développer l’agriculture et l’écotourisme, etc.

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Arrivée au coeur du village.
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Maison typique du village.

La communauté forestière de Tonsong Tlak compte 460 familles, le village se situe au centre d’une forêt communautaire d’environ 50 km2. Dernièrement, cette forêt était menacée par un projet de plantation d’helvéas (production de caoutchouc) par une compagnie qui tentait de s’arroger de force la terre dont la communauté dépend pour vivre. Si l’accès à la terre est relativement bien défini en théorie, en pratique il manque encore souvent les éléments essentiels pour que cette protection soit effective, comme un cadastre ou une délimitation des zones sur le terrain, par la présence de bornes par exemple. C’est un des domaines où nous intervenons, en finançant la démarcation au sol des zones réservées à l’usage des communautés. La population est également victime de la coupe illégale de bois et du braconnage qui survient dans la forêt normalement réservée à son usage. Nous les aidons à mettre en place des patrouilles afin que les braconniers et les forestiers ne puissent pas puiser impunément et illégalement dans les ressources de la forêt.

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La communauté villageoise nous reçoit en « grande pompe », honorée par la visite inédite d’un « donateur ».
Les échanges entre les villageois sont vifs et les tensions crées par les pressions
sur les ressources naturelles de la forêt sont palpables.

Des ressources halieutiques également sous pression

Après deux heures d’échanges et de civilités, nous quittons la communauté forestière pour rejoindre une communauté de pêcheurs installée sur une île au centre du Mékong. Le contexte est quelque peu différent, mais les problèmes sont comparables. Les poissons géants dont nous avons évoqué l’existence semblent n’être qu’un souvenir lointain pour les pêcheurs. L’un des anciens évoque l’époque de Pol Pot où l’on pouvait encore voir les dauphins de l’Irrawaddy jusqu’à Phnom Penh…

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Discussion animée avec les pêcheurs.
Les femmes sont nettement moins représentées que dans la communauté forestière,
elles sont assises au second plan et en pyjama…
mais c’est une habitude vestimentaire très courante par ici :-)

Tous se plaignent de pratiques de pêche qui mettent à mal les populations de poissons, à commencer par l’utilisation des filets maillants, sortes de barrages flottants qui attrapent tout ce qui passe. Plus récemment, d’autres pratiques plus inquiétantes sont apparues : des groupes de 20 à 30 bateaux débarquent de la ville et, sans aucun droit de pêche, pillent le fleuve en provoquant des décharges électriques qui tétanisent le poisson dans un rayon de plusieurs dizaines de mètres (une forme artisanale de Taser) et en facilitent la capture. Selon les pêcheurs de la communauté, ces braconniers du Mékong agissent sous l’influence de drogues afin d’augmenter leur niveau d’agressivité… Inutile de dire que la communauté de pêcheurs est désemparée face à ces « invasions ». Elle n’a en effet pas les moyens de les stopper et les autorités ne réagissent pas ou peu.

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Nasses utilisées par la communauté de pêcheurs.
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La maison communautaire.
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La route principale qui sert, notamment à un trafic de bois de rose à petite échelle.

Au sortir du village, nous croisons un homme en scooter qui transporte du bois de rose illégalement prélevé dans la forêt voisine. Il passe à côté de nous sans s’inquiéter, ni être inquiété… Il faut dire que le ministère ne dispose que d’une cinquantaine de rangers pour toute la province et qu’un seul cas a été déféré devant le juge l’an dernier. Or, le bois de rose est tellement rare et précieux que les seules coordonnées GPS d’un arbre se vendent à 500 $. La tentation est donc grande pour une population très pauvre d’arrondir ses fins de mois, sans aucune conscience que ces prélèvements ont souvent des conséquences irréversibles (disparition d’une espèce dans une région) et que cela se fait à crédit des générations futures.


Le chemin est encore long…

 

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Antoine Lebrun