Le Cerrado, savane extraordinaire et menacée
Le Cerrado, savane extraordinaire et menacée
Au cœur du Brésil se trouve le Cerrado, qui relie l’Amazonie, le Pantanal, le Chaco et la forêt atlantique. Ce paysage complexe de 200 millions d’hectares (soit près de quatre fois la superficie de la France), se compose de savanes, mais aussi de prairies, forêts sèches et forêts galeries. Malheureusement, cet écosystème précieux est aussi gravement menacé par la déforestation.
Or cette mosaïque de paysages est d’importance capitale pour nous toutes et tous. En effet, la région abrite 5 % de la biodiversité mondiale, et stocke aussi quelque 13,7 milliards de tonnes de CO₂ sous terre - l’équivalent de 70 000 milliards de kilomètres parcourus en voiture. Par ailleurs, le Cerrado renferme près de la moitié de toute l’eau douce du Brésil. Enfin, c’est un lieu d’une beauté envoûtante, pour reprendre les mots de Jean Timmers. Il dirige le travail de plaidoyer du WWF sur les chaînes d’approvisionnement sans déforestation, et plaide en faveur d’une meilleure protection du Cerrado.

Beauté envoûtante et discrète
« La beauté du Cerrado est discrète », commence Jean. « Il y a une saison très sèche et une saison très humide. Entre les deux, des fleurs aux couleurs vives fleurissent. On dirait qu’on a deux printemps. »
Autre chose remarquable, « bien qu’on y trouve des arbres pluri centenaires, ils ne sont pas très hauts. Un arbre de deux à trois mètres de haut peut avoir 300 ans. C’est parce qu’ils se sont parfaitement adaptés aux incendies naturels périodiques qui caractérisent le Cerrado. Certains ont survécu à 50 ou même 60 feux. Lorsque les bourgeons au sommet des branches sont consumés par les flammes, l’arbre ne pousse plus vers le haut, mais vers les côtés. C’est pour cela qu’ils restent si bas. Avec leurs formes uniques et leurs branches torsadées, les arbres du Cerrado ressemblent à de grands bonsaïs », raconte Jean avec enthousiasme.
Lentement mais sûrement
La vie dans le Cerrado peut être décrite comme économe : elle s’est adaptée de façon incroyable. « Le sol est très pauvre en minéraux. Cela ralentit la croissance – des arbres, mais aussi des animaux », explique Jean. Quels animaux trouve-t-on dans le Cerrado, savane la plus riche en biodiversité de la planète ? « Les ornithologues y trouveront leur bonheur ! On y voit aussi des tatous géants et des fourmiliers géants. Et des loups à crinière, qui ressemblent à des renards aux très longues pattes. » De plus, on y trouve aussi de grands félins comme des ocelots et des jaguars. « Mais si vous voulez les voir, il faut se lever de bonne heure. Et avoir beaucoup de chance », sourit Jean.

Vivre dans le Cerrado
Le Cerrado est aussi réputé pour sa richesse sociale immense. Le biome comprend plus de 200 territoires indigènes appartenant à 83 groupes ethniques différents, ainsi que 44 quilombos (les quilombos sont des communautés fondées par des esclaves afro-brésiliens en fuite). Ces peuples dépendent du Cerrado pour leur mode de vie, leur culture et leurs traditions.
« Ils vivent en harmonie avec la nature », explique Jean. « Ils cultivent des fruits, des graines et des noix ; ils élèvent du bétail à petite échelle. Et ils pratiquent une gestion traditionnelle et collective du feu : grâce au savoir ancestral, ils savent exactement comment et quand mettre le feu au Cerrado pour garantir le rajeunissement naturel du biome. Des études ont montré que cette pratique traditionnelle assure la plus grande biodiversité possible. »

La déforestation déracine les populations
Malheureusement, l’expansion de l’industrie du soja pour nourrir les animaux d’élevage met cette manière de vivre traditionnelle sous pression. « Les communautés n’ont souvent pas de documents prouvant qu’elles sont propriétaires des terres. Alors, des entreprises de l’industrie du soja arrivent avec des gardes. Elles clôturent un territoire et déclarent que désormais, il leur appartient. Elles chassent les habitants, parfois avec violence », soupire Jean.
Et la végétation naturelle doit céder la place au soja. « Ils arrivent avec deux grands tracteurs, entre lesquels est tendue une lourde chaîne. Les maillons peuvent faire jusqu’à 50 cm de long, 10 à 20 cm d’épaisseur. Les tracteurs tournent, et la chaîne arrache toute la végétation entre les deux véhicules. Ça fait un vacarme infernal. Ils renversent les arbres comme s’il s’agissait de brins d’herbe. Rien ne reste debout ; c’est fini en un instant. Ils appellent ça « nettoyer ». Ensuite, ils viennent avec des bulldozers pour tout rassembler et brûler… afin de cultiver du soja. », témoigne Jean.

Cela déracine les communautés traditionnelles. « Parfois, elles peuvent garder leur maison, dans de rares cas leur potager. Mais elles sont complètement encerclées par des champs. Et harcelées ; on leur propose de l’argent pour qu’elles partent. Ou bien quelqu’un arrive à la porte avec une ordonnance d’expulsion, leur donnant 24 heures pour quitter leur maison », raconte Jean. « Dans le meilleur des cas, elles rejoignent une communauté voisine, ou bien elles partent vivre à la périphérie des villes, dans des favelas. Là, elles perdent tous leurs repères culturels. Elles n’ont plus de potager, plus de bétail. Les jeunes peuvent tomber dans la criminalité. C’est vraiment inhumain. »
Les jeunes générations prennent la parole
Jean garde néanmoins espoir : « Quand je vois à quel point les jeunes générations sont bien organisées ; avec quelle ardeur elles défendent leurs droits ; cela me donne de l’espoir. Elles sont prêtes à se battre. En mars 2024, une délégation de communautés traditionnelles est venue à Bruxelles. Elles ont clairement montré que le Cerrado, ce n’est pas seulement des arbres trapus aux branches tordues et aux feuilles coriaces. Le Cerrado, ce sont des peuples, des cultures, des saveurs, des couleurs, de la musique. Elles voulaient vraiment faire entendre leur voix, exprimer leur culture. »
Protéger le Cerrado : comment faire ?
Selon Jean, la réponse est simple : «. Tous les écosystèmes naturels méritent d’être protégés. Qu’il s’agisse de forêts, de savanes, de prairies... ». Cette protection n’aurait même pas d’impact sur la production agricole au Brésil. « La recherche scientifique montre que la production actuelle pourrait être doublée, voire triplée, sans devoir sacrifier plus de nature. Il existe suffisamment de zones dégradées que nous pourrions restaurer pour y cultiver. Le problème ? Convertir des terres vierges coûte moins cher que de restaurer des zones dégradées. Mais si – grâce à une législation plus stricte – il n’y a plus d’acheteurs pour des produits issus de zones déboisées, cela pourrait faire basculer l’industrie agricole », conclut Jean.

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