L’IA au service de la conservation dans la Semois
L’IA au service de la conservation dans la Semois
Quels animaux la vallée de la Semois abrite-t-elle ? Où se trouvent-ils ? Comment les protéger ? Pour répondre à ces questions, plusieurs méthodes existent : observation directe, pièges photographiques, enregistreurs acoustiques. Des méthodes qui demandent énormément de temps, et n’offrent qu’une image partielle de la réalité. Mais depuis peu, l’intelligence artificielle a changé la donne : elle réduit le temps d’analyse et traite un volume de données bien plus important.
Créé en 2023, le parc national de la vallée de la Semois fait partie des derniers-nés des parcs nationaux belges. Son premier défi* : définir ses objectifs de restauration de la nature les plus urgents. Un inventaire précis de la richesse biologique est donc indispensable, pour cibler les actions prioritaires et évaluer l'impact de nos travaux de restauration.
Les limites des méthodes classiques
Pour obtenir une photographie de la biodiversité en un endroit donné, il existe plusieurs méthodes, souvent combinées. La plus simple (mais aussi la plus longue) est l’observation directe : les chargé·es de mission, les membres du Département de la Nature et des Forêts (DNF), les naturalistes, et parfois les promeneurs et promeneuses, sillonnent le parc et encodent leurs observations. Mais ce n’est pas la panacée… « Le parc fait plus de 30 000 hectares. Même s’il est parcouru depuis des décennies par de nombreux naturalistes, certains sites sont peu visités et certaines espèces, peu étudiées. Notre connaissance est loin d’être exhaustive. », explique Corentin Rousseau, biologiste au WWF-Belgique.
La seconde méthode consiste à installer des pièges photographiques. Efficace… mais ô combien chronophage. « Les chargés de missions du Parc national installent des dizaines de pièges photographiques, qu’on laisse un à deux mois. Ensuite, il faut les récupérer et examiner chaque photo et chaque vidéo. C’est un travail colossal. », continue Corentin Rousseau.
Rien qu’en 2024, les pièges photographiques ont capturé 260 000 images et vidéos dans la vallée de la Semois. Après tri (fausses détections, humains ou véhicules), 50 000 images restaient à analyser. Une fois regroupées par séquence (le même animal qui reste devant la caméra, ou repasse quelques secondes plus tard), il en restait encore plus de 10.000 à annoter. On vous laisse imaginer le temps de travail, si tout devait être fait manuellement…

L’IA : un gain de temps à grande échelle
L’avènement de l’IA a permis de diminuer largement le temps d’analyse. Un logiciel est désormais capable de faire le premier tri dans le grand nombre d’images. Résultat : un temps de travail divisé par cinq ! L’IA ouvre aussi la porte à l’exploration de nouvelles méthodes, comme le suivi acoustique, que ce soit dans la forêt (Audiomoth) ou dans la rivière (Hydromoth).
L’Audiomoth : à l’écoute de la forêt
L’Audiomoth enregistre les sons de la forêt – des oiseaux, en particulier. Corentin Lambert, chargé de missions au Parc national, explique : « L’appareil enregistre deux heures le matin, quand les oiseaux sont très actifs et les activités humaines discrètes, et deux la nuit, pour capturer les espèces nocturnes comme les engoulevents d’Europe, les chouettes ou les hiboux. Cela fait quatre heures d’enregistrement par jour. Avec 30 Audiomoths installés dans le parc, on arrive à 1 680 heures en deux semaines. Sans intelligence artificielle, utiliser cette technologie serait ingérable. ».
Là aussi, un logiciel spécifique relié à une énorme base de données identifie la plupart des espèces d’oiseaux. « L’intérêt est double : non seulement on gagne du temps, mais on évite aussi de déranger les animaux. Ici, on pose l’appareil et on repart : la perturbation est minime, on laisse libre cours à l’inventivité lexicale des oiseaux. », sourit-il..

Depuis avril dernier, l’IA a déjà aidé à détecter 104 espèces différentes. Le rougegorge familier, le pipit des arbres, le merle noir, le troglodyte mignon et le pouillot véloce sont les plus fréquents.
Et ce n’est que le début – rapidement, la reconnaissance sonore s’appliquera à d’autres types d’espèces, notamment les orthoptères (famille des sauterelles) et des mammifères, comme le renard, le raton laveur, le sanglier… ou le lynx.
Pour ce dernier, particulièrement discret, le défi est de taille : son cri ne peut être entendu que pendant la période de rut, à la fin de l’hiver. De plus, il est difficile à reconnaître – il s’agit d’une sorte de mélange entre le cri du renard et celui du chevreuil. « Pour que l’IA puisse le reconnaître, nous allons devoir l’entrainer, c’est-à-dire la nourrir de cris de lynx venant de différents parcs zoologiques, d’animaux d’Europe de l’Est et de France, mais aussi des cris de chevreuils et de renards, pour qu’elle ne puisse pas les confondre. On espère être prêts pour la fin de l’hiver prochain. », se réjouit Corentin Rousseau.
L’Hydromoth : à l’écoute de la rivière
L’Hydromoth, quant à lui, est un système de captation sonore sous l’eau. « Certaines espèces font peu de bruit. Ce n’est pas pour rien qu’on dit « muet comme une carpe ». Mais d’autres émettent des vibrations, notamment avec leur vessie natatoire, une petite poche remplie de gaz qu’ils gonflent ou dégonflent pour nager vers la surface ou vers les profondeurs. », explique Corentin Rousseau.

Pour l’instant, cette technologie n’en est encore qu’à ses balbutiements : aucune base de données ne permet aujourd’hui de reconnaître les différentes espèces de poissons ou d’insectes subaquatiques. “Dans un premier temps, nous allons étudier la diversité sonore dans le milieu. Nous partirons du principe que plus le paysage sonore est varié, plus la diversité de vie dans la rivière est grande. Une référence précieuse pour suivre l’évolution de la rivière dans le temps et suivre l’impact des mesures de restauration. », conclut Corentin Rousseau.
Grâce à l’IA, le parc national de la vallée de la Semois est entré dans une nouvelle ère : un suivi plus rapide, plus complet et moins intrusif de la biodiversité. Un atout essentiel pour mieux protéger ce patrimoine naturel exceptionnel.
*Le projet est mené par Parc national de la vallée de la Semois avec le soutien financier du WWF-Belgique dans le cadre de notre partenariat continu.
