Les éléphants de forêt d’Afrique ne sont plus en sécurité nulle part

Les éléphants de forêt d’Afrique ne sont plus en sécurité nulle part

Aujourd’hui, les braconniers n’hésitent pas à s’aventurer dans les forêts les plus denses du continent pour s’emparer de ce précieux butin qu’est l’ivoire. Localement, le prix de l’ivoire atteint entre 150 et 250 dollars le kilo, soit 10 fois plus qu’en 2004, ce qui représente une somme considérable pour les populations locales. La rapide hausse des prix a engendré ces dernières années une véritable ruée vers l’ivoire. Parallèlement, le commerce illégal des espèces sauvages occupe désormais la 4e place des plus grands trafics mondiaux après le trafic de drogue, la contrefaçon et la traite d’êtres humains.

 

Pauwel De Wachter, coordinateur du projet TRIDOM (Paysage trinational Dja-Odzala-Minkébé), travaille depuis déjà depuis 20 ans pour le WWF sur le terrain. Il nous explique les grands enjeux actuels liés au braconnage des éléphants.

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Pauwel De Wachter devant les restes d'un éléphant de forêt femelle abattu par un officier de l'armée pour son ivoire.
L'officier a ensuite été arrêté par les rangers et condamné.
 

« Le Cameroun, la République du Congo et le Gabon sont assaillis par les braconniers d’éléphants et la mafia de l’ivoire. Les éléphants qui survivent encore dans ces pays sont constamment chassés et tués de façon cruelle. Les braconniers utilisent généralement des AK-47 ou des flèches empoisonnées, des armes qui blessent l’animal mais le ne tuent pas immédiatement. Une fois l’éléphant blessé et à terre, les braconniers coupent les tendons de l’animal de façon à ce qu’il ne puisse plus s’enfuir, le condamnant à une mort douloureuse. Et afin que l’éléphant se vide plus vite de son sang, les braconniers s’emploient également à couper sa trompe, très sensible.

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Un éléphant de forêt tué par des braconniers pour ses défenses. 

Le braconnage est la principale cause de la disparition massive des éléphants de forêt, et le commerce de l’ivoire s’est intensifié au cours de la dernière décennie à tel point qu’il constitue aujourd’hui un véritable crime organisé et professionnalisé. Après avoir tué un éléphant, les braconniers, qui agissent soit sur demande soit de leur propre initiative, revendent leur prise à un trafiquant intermédiaire. Celui-ci transporte l’ivoire brut, souvent dissimulé dans diverses marchandises telles que des fèves de cacao ou dans des compartiments cachés dans des camions ou même des taxis, et le revend ensuite à d’autres contrebandiers qui l’expédient en Asie - qui constitue de loin le plus grand marché de l’ivoire. La plupart du temps, ceux qui organisent le braconnage localement et revendent l’ivoire ne se rendent pas sur le terrain. Ils recrutent des braconniers locaux, leur livrent des armes et le matériel nécessaire et empochent ensuite la plupart des bénéfices. Les braconniers courent donc de grands risques tandis que les leaders et les principaux acteurs de ce trafic sont plus difficiles à repérer et à arrêter.

Lorsque des braconniers ou des trafiquants sont arrêtés, ils ne sont pas forcément condamnés par la suite. Il arrive par exemple que des braconniers et des trafiquants d’ivoire présentent de faux certificats médicaux pour éviter la prison. Lorsqu’une peine d’emprisonnement est prononcée mais qu’elle est de trop courte durée, les chances de récidive sont très élevées. À cela s’ajoute un vaste problème de corruption qui touche autant les rangers, la police, la justice que les autorités.

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Un braconnier revient de la forêt avec une défense qu’il vient d’arracher à un éléphant. 

Malgré les efforts des autorités locales et nationales pour enrayer le braconnage, la quasi-totalité des zones protégées sont en sous-effectif et manquent de financement, de sorte qu’une gestion et une protection efficace contre le braconnage s’avèrent très compliquées. Il est en outre crucial que les pays voisins travaillent ensemble pour développer des corridors sécurisés entre les différentes zones  protégées car les animaux ne connaissent pas la notion de frontière.  Prenons l’exemple de ce troupeau d’éléphants en République du Congo qui bénéficiait de la protection de 16 rangers financés par le WWF et qui après avoir traversé la frontière du Cameroun, a soudainement manqué de protection. C’est à cet endroit qu’ont été retrouvées 13 carcasses d’éléphants, appartenant vraisemblablement à cette même population.

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Des patrouilles anti-braconnage préparent leur camp pour la nuit et leur repas du soir, Parc national de Minkébé, Gabon.

Les éléphants de forêt jouent un rôle essentiel au sein de l’écosystème africain. Ils se nourrissent d’une grande quantité de fruits et répandent de cette manière de lourdes graines. Sans les éléphants, ces graines ne seraient plus disséminées et la forêt se métamorphoserait. Un grand nombre d’arbres ne seraient en outre plus en mesure de se régénérer.

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Un troupeau d’éléphants de forêt photographié par nos caméras-pièges, utilisées pour observer et étudier les espèces sauvages. 

 

La question est la suivante : que pouvons-nous faire face à cette crise du braconnage des éléphants ?

1) Prévenir le braconnage en investissant dans des patrouilles de terrain afin de protéger au mieux les éléphants. Cela implique donc le recrutement de rangers entraînés et motivés. Il est également important de créer de nouvelles zones protégées, qui soient efficacement gérées et protégées, et d’améliorer la connectivité entre les zones existantes.

2) Améliorer la législation actuelle et son application pour des sanctions plus sévères et efficientes. Les récidives sont malheureusement fréquentes lorsque les peines prononcées sont trop faibles.

3) Investir dans le renforcement du réseau d’informateurs pour faciliter l’échange d’informations sur le terrain et procéder à des arrestations plus ciblées.

4) Combattre la corruption. Trop nombreux sont les criminels qui obtiennent de très faibles peines ou sont libérés après avoir versé des pots-de-vin.

5) Stimuler la collaboration entre les autorités et les institutions juridiques au-delà des frontières pour aligner le niveau de protection des zones naturelles et le type de sanctions qu’encourent les braconniers et les trafiquants, et améliorer les poursuites transfrontalières.

6) Investir dans la sensibilisation des populations locales, notamment par le biais des médias et du système scolaire, afin de les conscientiser à l’importance des éléphants et des zones naturelles où ils vivent.

7) Investir dans le développement socio-économique des populations locales et y associer la protection des éléphants et des zones naturelles afin de réduire le pouvoir d’attraction de l’argent du braconnage et démontrer les avantages économiques de la protection des éléphants. Les populations locales doivent en outre être impliquées au maximum dans la protection et la gestion de ces zones.

8) Les autorités doivent investir davantage dans l’amélioration du système carcéral. Les prisons d’Afrique centrale possèdent une capacité réduite et sont saturées de braconniers et de trafiquants d’espèces sauvages. Il existe un besoin évident de créer de plus grandes prisons et d’élaborer des systèmes de réhabilitation pour permettre par exemple aux prisonniers de développer des compétences dans d’autres domaines et éviter ainsi qu’ils ne retombent dans le braconnage une fois libérés.

9) Réduire la demande d’ivoire par des actions de sensibilisation au sein des plus grands pays consommateurs, qui se trouvent principalement en Asie.

10) Assurer un meilleur contrôle des principales portes d’entrée des produits issus du trafic illégal d’espèces sauvages dans les pays de transit (en Europe notamment). »

Le WWF œuvre dans le monde entier pour que soient appliquées l’ensemble de ces mesures. Afin de maximiser nos chances de succès, nous travaillons à tous les niveaux et en collaboration avec de nombreuses ONG ainsi que les gouvernements. Mais cet engagement seul ne sera pas suffisant. Il nous faut aujourd’hui une volonté politique forte pour pouvoir mettre fin à ce massacre.