Le bison en Roumanie : catalyseur de renouveau
Le bison en Roumanie : catalyseur de renouveau
Logé en plein cœur des montagnes Țarcu dans les Carpates roumaines, le village d'Armeniș fait partie des projets de conservation les plus inspirants d’Europe. Ici, la réintroduction du bison ne symbolise pas seulement la restauration d’une espèce disparue, mais aussi un véritable renouveau écologique, social et économique.
Au milieu du 19e siècle, la Roumanie perdait ses derniers bisons sauvages. Il n’en restait plus un seul, nada, niet, zéro. Aujourd’hui, plus de 200 bisons vivent en pleine liberté dans les Carpates roumaines, grâce à des réintroductions successives menées depuis 10 ans. Ce projet ambitieux, porté par le WWF et Rewilding Europe, est l’un des plus grands succès de conservation en Europe.
Mais sans le soutien actif des communautés locales, ce projet n’aurait eu que peu de chance de devenir le triomphe qu’il est aujourd’hui… « Réintroduire des bisons ne pouvait pas suffire. Il fallait aussi l’adhésion des habitant·es, la mise en place d’écogardes, de l’argent », explique Oana Mondoc, l’une des forces motrices de ce projet, qui travaille pour le WWF en Roumanie.
WeWilder : au-delà de la conservation
C’est ainsi qu’est né WeWilder, une initiative ambitieuse qui mêle écotourisme, entrepreneuriat et développement local, formant ainsi un véritable laboratoire d’innovation sociale.
Cinq cabanons, construits en matériaux locaux et nichés en haut d’une colline, offrent une vue panoramique sur les vallées tapissées de forêts. C’est dans ce cadre bucolique que les visiteurs et les visiteuses découvrent la nature à travers des expériences immersives : randonnées pour observer les bisons, dégustation de plats locaux, ateliers créatifs... Le tout mené par les villageois·es. Et WeWilder ne s’arrête pas là.

« L’écotourisme n’est pas la solution à tout », insiste Oana. « WeWilder est né de l’envie de montrer qu’il est possible et enviable de vivre en harmonie avec la nature. Nous réunissons aussi entrepreneurs, locaux et décideurs, pour imaginer des solutions aux inégalités sociales et aux difficultés économiques. »
Une solution à l’exode rural
Cette ambition s’inscrit dans un contexte délicat : l’exode rural menace depuis des décennies l’équilibre de ces communautés, souvent découragées par des conditions de vie particulièrement rudes. La jeunesse part chercher des opportunités ailleurs, laissant derrière elle des traditions et des savoir-faire indispensables à la préservation des paysages.
WeWilder propose donc une alternative. Dosia (40 ans), par exemple, qui vivait autrefois exclusivement du travail agricole, travaille désormais en cuisine à WeWilder. Elle amène ses idées et ses traditions pour enrichir les expériences des visiteurs et des visiteuses, tout en diversifiant ses sources de revenus.

Parmi les autres projets innovants, on trouve des repas lyophilisés faits à partir d’ingrédients locaux, des tasses en terre glaise ornées d’empreintes d’animaux sauvages imprimées en 3D, et même de la musique créée à partir des sons de la forêt.
« Ici, tout est possible. Un paysan vient de m’appeler pour me dire qu’il a trop de framboises. Il sait très bien qu’il peut les apporter à WeWilder. Ensemble, nous trouverons bien quoi en faire. » Devant notre mine stupéfaite, Oana sourit. « On fait vivre un rêve ici, ça demande une certaine largeur d’esprit. »

Une « économie du foin » : préserver l’équilibre naturel
Il est parfois bon de se rappeler que si l’humain est souvent perçu comme un perturbateur de la nature, il peut aussi en être le gardien. Ce paysage idyllique des Carpates roumaines, où forêts et prairies coexistent, en est un bon exemple. Car ce modèle de coexistence, bien qu’écologiquement précieux, repose entièrement sur le travail acharné des communautés locales, qui assurent chaque année son entretien.
« Un paysage en mosaïque offre plus de diversité qu’une forêt continue, cela permet à bien d’autres animaux et insectes de prospérer. Et une biodiversité florissante et variée offre de la meilleure nourriture, de l’eau plus pure, un air plus sain. Mais ces prairies doivent être entretenues, sinon elles redeviennent forêt », explique Adrian, biologiste en charge de la réintroduction des bisons au WWF.

Cependant, ce travail, ardu et peu rentable, a aussi poussé de nombreux habitant·es à quitter leurs villages. « Le pittoresque des uns est la dure réalité des autres », souligne Oana. Les hivers sont longs, le travail manuel incessant, et les ressources limitées.
Un lundi de juillet en fin de journée, Oana nous emmène rejoindre la famille de Dosia. L’herbe haute, riche en fleurs sauvages, a déjà été fauchée et sèche patiemment au soleil. Femmes, hommes, et même la doyenne de 80 ans se sont rassemblés pour monter les meules de foin. Autour d’un bâton, chacun s’active pour entasser l’herbe coupée jusqu’à former de grandes buttes pour l’hiver. Pendant ce temps, le mari de Dosia, Cristian, allume un feu sur le bord du chemin et prépare le repas : un mélange de fromage, d’ail et de polenta. « Notre dose de protéines », sourit-il. Le tout maison, évidemment.
« Ici, nous vivons dans une ‘économie du foin’. Les prairies pleines de fleurs et qui pullulent d’insectes, d’oiseaux et de petits mammifères, alimentent la meilleure nourriture du monde : du lait et des fromages nutritifs », explique Oana, émue devant cette scène digne d’un tableau de Millet.

Le bison, architecte paysagiste
Et le rôle du bison, dans tout ça ? En plus d’être un catalyseur de renouveau et un atout touristique, le bison a également un rôle écologique à jouer dans ce paysage. Jusqu’à son extinction au 19e siècle, ce grand herbivore façonnait et entretenait lui aussi des espaces ouverts, un peu à la manière des villageois·es.
En consommant écorces et branches (jusqu’à 30 kg par jour), le bison maintient en effet des espaces ouverts et entretient des corridors écologiques qui profitent à au moins 600 espèces animales et 200 espèces végétales.
Parmi les bénéficiaires de l’entretien des corridors, citons les emblématiques lynx, loups et ours. Voisins des humains, leur présence est ici profondément acceptée et respectée. « La population vit depuis toujours avec des animaux sauvages comme les ours, les lynx et les loups. Ce n’est pas un problème, c’est une réalité. Quand un mouton est attaqué par un loup, c’est vu comme un aléa parmi d’autres. Et qui cause moins de victimes qu’une maladie, par exemple », nous explique Matei Miculescu, l’écogarde de la région.
Cette acceptation reflète bien leur réalité : ici, les habitant·es sont conscient·es du rôle de chaque être vivant dans l’écosystème.
Le bison, pont entre le passé et l’avenir
À Armeniș, le bison est bien plus qu’un symbole : il est le point de départ d’une transformation profonde. En restaurant cette espèce disparue, c’est tout un écosystème et une communauté qui se reconstruisent. Il inspire une nouvelle génération à inventer des solutions durables, tout en s’appuyant sur les traditions locales.
Enfin, le bison prouve qu’un retour à la nature peut rimer avec innovation et prospérité, offrant un modèle inspirant pour d’autres régions d’Europe.