Pourquoi la nature nous est-elle indispensable ?

Pourquoi la nature nous est-elle indispensable ?

La dernière édition du Rapport Planète Vivante dresse un constat alarmant pour la planète. Entre 1970 et 2012, les populations d’oiseaux, de mammifères, de reptiles, d’amphibiens et de poissons ont été réduites de 58 %.

 

En moyenne, une population qui comptait 100 individus en 1970 n’en comptait plus que 42 en 2012. À rythme inchangé, la même population ne comptera plus que 33 individus en 2020. Le rythme actuel de dégradation de la biodiversité amène le monde scientifique à penser que nous avons entamé la sixième extinction de masse[i].

La dernière extinction a eu lieu il y a 66 millions d’années et a mené à la disparition des dinosaures. Fait neuf, la 6e extinction de masse n’est pas causée par un phénomène naturel comme la chute d’une météorite, une modification des conditions atmosphériques ou un épisode exceptionnel d’activité volcanique.

L’extinction massive à laquelle nous assistons est déclenchée par la pression qu’exerce une espèce sur son environnement : Homo Sapiens. Les causes principales de cette extinction sont la destruction et la dégradation des habitats naturels ; la surexploitation des espèces par la chasse, le braconnage ou la pêche ; le changement climatique dû aux émissions de gaz à effet de serre ; la pollution ; et la diffusion d’espèces invasives et de maladies.

Anthropocène

Apparu sur Terre il y a environ 200 000 ans, Homo Sapiens a connu une réussite remarquable en tant qu’espèce[ii]. La biomasse humaine (les humains, leurs cheptels et leurs animaux de compagnie) représenterait aujourd’hui plus de 95 % de la biomasse des mammifères terrestres sauvages contre moins d’1 % il y a 5 000 ans[iii]. La domination de l’espèce sur son environnement est telle que la plupart d’entre nous se sentent aujourd’hui déconnectés du système naturel qui leur a donné naissance. Un sentiment de toute puissance qui pourrait nous être fatal.

Homo Sapiens dépend complètement de la nature pour la qualité de l’air qu’il respire, de l’eau qu’il boit, pour la stabilité du climat, pour l’approvisionnement en nourriture et en matériaux divers. Les changements qu’Homo Sapiens a apportés à son environnement au cours des derniers siècles sont tels que les scientifiques sont sur le point de reconnaître une nouvelle époque géologique : l’Anthropocène. Dans plusieurs millions d’années, il sera possible d’observer dans les strates géologiques les traces du passage de notre espèce sur Terre, tout comme nous pouvons aujourd’hui observer les traces des chutes de météorites ou des éruptions volcaniques qui ont marqué l’histoire géologique de notre planète.

Vers un scénario d’effondrement ?

À côté de ce que la science nous apprend, l’Histoire devrait nous inciter à la prudence[iv]. La comparaison du scénario actuel avec des épisodes similaires dans le passé indique que nous pourrions nous diriger vers un scénario d’effondrement. Ces épisodes sont eux aussi marqués par une surexploitation des ressources naturelles menée jusqu’à un point où les rendements diminuent alors que la demande continue à augmenter. Une fois ce point de non-retour dépassé, le scénario se termine systématiquement par une réduction drastique et incontrôlée des populations humaines. Les causes de ces effondrements démographiques sont les guerres, les famines et les épidémies qui sont elles-mêmes les conséquences de la raréfaction des ressources alimentaires, énergétiques et matérielles.

L’une des difficultés auxquelles étaient confrontées les sociétés pour comprendre ce qui leur arrivait réside dans la temporalité des problèmes environnementaux. Ceux-ci se déroulent en effet sur plusieurs générations, ce qui les rend extrêmement difficiles à cerner par l’homme qui a tendance à se concentrer sur l’ici et le maintenant. Contrairement aux épisodes passés, nous avons développé une compréhension extrêmement fine des problèmes qui nous occupent. Même s’il reste beaucoup de zones d’ombre, nous connaissons l’ampleur de notre impact sur la planète et ses causes sous-jacentes. Les problèmes sont donc connus et les solutions existent ; nous sommes face à une opportunité unique de préserver une planète où l’être humain pourrait vivre en harmonie avec la nature.

9 limites planétaires

Le concept des limites planétaires est l’une des grilles de lecture pour comprendre la façon dont nous exerçons une telle pression sur notre environnement. Ce concept identifie des seuils pour neuf systèmes qui permettent de maintenir la Terre dans un état stable. Les analyses actuelles montrent que nous avons poussé quatre de ces systèmes au-delà de leur seuil de soutenabilité : le changement climatique, le déclin de la biodiversité, les cycles de l’azote et du phosphore (utilisés principalement comme engrais dans l’agriculture) et la destruction et dégradation des habitats naturels.

1,6 planète

Le concept d’empreinte écologique offre un autre regard sur la pression exercée par l’homme sur son environnement. L’empreinte écologique compare la demande humaine à la bio-capacité de la Terre, à sa capacité à nous fournir les ressources et services écosystémiques que nous utilisons. Aujourd’hui, nous avons besoin d’1,6 planète pour répondre aux besoins de l’humanité. Les modes de consommation des pays à haut revenu génèrent une pression sur les ressources qui n’est pas soutenable, d’autant que la population continue à croître et que l’émergence des classes moyennes dans les nouveaux pays industrialisés s’accompagne de l’adoption des schémas de consommation occidentaux.

Pour maintenir un équilibre soutenable entre la demande humaine et la bio-capacité de la Terre, un changement fondamental est indispensable dans la façon dont nous produisons et consommons l’énergie et la nourriture. Des solutions existent pour développer ces nouveaux modèles. Il est aujourd’hui possible de produire de l’énergie sans émissions de gaz à effet de serre. Il est également possible de réduire l’impact de l’alimentation sur l’environnement naturel en faisant passer de deux à un tiers la part des protéines animales dans notre alimentation (voir l’exemple du soja dans le Cerrado ci-après) et en réduisant les intrants chimiques et fossiles dans l’agriculture (engrais et pesticides). L’énergie et la nourriture sont deux axes de travail essentiels pour préserver la résilience de nos écosystèmes.

Mieux comprendre pour mieux agir

Si le concept d’empreinte écologique est un excellent outil pour comprendre et modifier à long terme notre rapport à la planète, lui seul ne suffit souvent pas à appréhender la complexité des problèmes auxquels nous sommes confrontés, ni à saisir l’urgence de la situation. En effet, de nombreux écosystèmes et espèces pourraient avoir disparu bien avant que les effets de la réduction de l’empreinte écologique ne puissent se faire sentir.

Sur le terrain, nous sommes bien souvent confrontés à des problèmes de mauvaise gouvernance, de non-application des lois, de corruption, de criminalité organisée ou de guerre qui créent une menace urgente pour les écosystèmes sans être nécessairement reliés à des problèmes d’empreinte écologique.

Les éléphants d’Afrique en sont un cas emblématique. Passés d’un million d’individus en 1970 à 415 000 en 2012, leur population a chuté d’environ 111 000 individus au cours de la dernière décennie (depuis 2006)[v]. Tandis que la perte d’habitat constitue une menace sérieuse sur le long terme, le braconnage (principalement pour l’ivoire) reste la principale menace dans l’immédiat : la moitié des éléphants retrouvés morts sont en effet tués illégalement. Selon l’Union européenne, sans une répression sévère du commerce de l’ivoire, les éléphants pourraient disparaître de la surface de la Terre d’ici 25 ans[vi].  

Si nous voulons préserver les écosystèmes et espèces clés de notre planète, il est nécessaire et urgent d’agir aussi sur les causes immédiates du déclin de la biodiversité comme la bonne gouvernance, l’application effective des lois, la lutte contre la criminalité, la paix et la sécurité. Nous avons besoin de solutions à court et à long terme, pour nous attaquer respectivement à des problèmes d'ordre juridique et politique (par exemple, le braconnage pour l'ivoire) et à la réduction de notre empreinte écologique. Il est par ailleurs urgent de mettre en œuvre une protection efficace des aires et espèces protégées.

Un cas concret : le soja et le Cerrado brésilien

Le secteur européen de la production de viande à grande échelle repose sur des importations massives de soja en provenance d’Amérique du Sud. On estime aujourd’hui à 13 millions d’hectares la superficie monopolisée en Amérique du Sud pour nos importations de soja, et la demande continue à croître avec la croissance de la population et l’augmentation de la demande de protéines animales qui accompagne le développement économique. Cette importante demande met sous pression de nombreux écosystèmes naturels tels que le Cerrado, où près de la moitié des savanes et des forêts ont été détruites au profit de l’agriculture. Ces écosystèmes sont essentiels pour les espèces sauvages et menacées telles que le jaguar et le fourmilier géant, pour les services écologiques qu’ils nous fournissent (dont l’apport en eau et la capture du CO2), et, enfin,
pour les nombreuses communautés indigènes qui dépendent de ces écosystèmes pour leur subsistance.

La conversion de ces habitats ne s’explique pas seulement par l’augmentation de la demande sur le marché. Au Brésil, 115 millions d’hectares de terres agricoles sont exploitées à seulement 32-34 % de leur potentiel. Augmenter leur productivité à 49-52 % serait suffisant pour répondre à la demande en viande (ainsi que les produits agricoles, en bois et biocarburants) jusqu’en 2040, sans aucune nouvelle conversion d’habitat naturel et sans qu’aucun arbre supplémentaire soit coupé[vii].

Pourquoi, dès lors, convertissons-nous les habitats naturels alors que d’autres solutions existent ? Dans les années 1960, le gouvernement brésilien a encouragé l'élevage extensif en accordant des subventions pour l'obtention de droits de propriété en cas d’occupation et d’utilisation productive des terres. Les investissements dans la construction de routes et d'infrastructures ont en outre facilité les migrations de personnes décidées à défricher de vastes zones naturelles pour en réclamer la propriété. Aujourd'hui, ce modèle est encore ancré dans la culture brésilienne. La spéculation foncière reste un important moteur de conversion des terres naturelles, les bénéfices générés par ces activités faisant encore partie du modèle économique de l'agriculture[viii].

La préservation du Cerrado passe par la réduction de notre empreinte écologique (et, par conséquent, par la réduction de notre consommation de viande), mais nécessite également des actions ciblées pour une meilleure application des lois protégeant les habitats naturels, une réforme foncière ainsi que la mise en œuvre d’une chaîne d’approvisionnement excluant la déforestation telle qu’exigée par le Moratoire sur le soja. Ce dernier prouve par ailleurs que le principe de Zéro Déforestation peut être appliqué avec succès[ix].

Conclusion

Apparu sur Terre il y a 200 000 ans, Homo Sapiens a remarquablement réussi en tant qu’espèce et s’est approprié une grande partie des ressources du monde naturel. Il est aujourd’hui confronté à un défi sans précédent : préserver le monde naturel qui l’a vu naître.

Nous avons besoin des écosystèmes naturels pour les services dont nous sommes dépendants. Beaucoup de nos besoins essentiels comme la nourriture et les matériaux sont dérivés des plantes et animaux. Un grand nombre d’espèces sont critiques pour le fonctionnement de services écosystémiques comme la régulation et la purification de l’eau et de l’air, les conditions climatiques, la pollinisation, la dispersion des semences, le contrôle des insectes et des maladies. Par ailleurs, la destruction et la dégradation des écosystèmes vont exacerber les conflits et les migrations, aggraver le changement climatique, augmenter la vulnérabilité aux catastrophes naturelles comme les inondations et les sècheresses et avoir un impact négatif sur notre santé physique et mentale ainsi que sur notre bien-être.

La préservation de notre monde naturel n’est donc pas l’affaire d’un petit cercle d’amoureux de la nature. C’est l’affaire de tous et dans l’intérêt de chaque citoyen. Travailler sur la réduction de notre empreinte, la bonne gouvernance, l’application effective des lois, la criminalité, la paix et la sécurité sont des sujets pertinents autant pour la biodiversité que pour la construction d’un monde prospère et en paix. La protection de notre monde naturel est donc intimement connectée aux principaux défis que le monde affronte aujourd’hui et absolument pertinente pour chaque citoyen qui habite cette planète.



[i] Lecture complémentaire : The Sixth Extinction : Un Unnatural History, Elisabeth Kolbert, 2014

[ii] Lecture complémentaire : Homo Sapiens, Yuval Noah Harari, 2013

[iii]Harvesting the Biosphere: The Human Impact, Vaclav Smil, in Population and Development Review 37(4): 613–636 (December 2011)

[iv] Lecture complémentaire : Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed, Jarred Diamond, 2005

[vii]When enough should be enough: Improving the use of current agricultural lands could meet production demands and spare natural habitats in Brazil, Strassburg, B. B. N., et al. 2014 in Global Environmental Change, Vol. 28, 84-87.

[viii]Persistence of cattle ranching in the Brazilian Amazon: A spatial analysis of the rationale for beef production, in Land Use Policy, Volume 29, Issue 3, July 2012, Pages 558-568

[ix] http://www.greenpeace.org/international/Global/international/code/2014/amazon/index.html