12,3 millions de pièges réduisent les forêts d’Asie du Sud-Est au silence

12,3 millions de pièges réduisent les forêts d’Asie du Sud-Est au silence

Tigres, éléphants d’Asie, crocodiles de Siam, léopards … L'Asie du Sud-Est abrite certains des animaux les plus rares et les plus emblématiques au monde. Mais depuis le XXe siècle, elle subit des vagues d'extinctions dramatiques. La principale raison ? Outre la destruction de l'habitat, ce sont les pièges… qui se comptent par millions, selon un nouveau rapport du WWF.  

 

Chhouk était un éléphanteau libre, sillonnant avec sa horde les forêts sèches de la province du Mondulkiri, au Cambodge. En 2007, il a marché sur un collet de fortune, construit de quelques fils de fer. Il s’est retrouvé seul, emprisonné, et grièvement blessé à la patte. Coup de chance, il a heureusement été rapidement trouvé par les patrouilles du WWF, puis amené à la réserve naturelle de Phnom Tamao. Amputé d’une jambe, son état ne laissait pas beaucoup de place à l’espoir. Pourtant, Chhouk a survécu. « Nous avons réussi à le soigner, puis il ne restait plus qu'à régler le problème de sa jambe manquante. Après avoir contacté diverses organisations de prothèses, l'école cambodgienne de prothèses et d'orthèses a finalement accepté de construire une jambe prothétique pour Chhouk. 13 ans plus tard, il en est à sa 14e ou 15e prothèse », explique Nick Marx, le directeur du programme de soins et de remise en liberté des animaux sauvages de la Wildlife Alliance au Cambodge. 

WWF snariing02Lorsque Chhouk a été trouvé dans la zone sauvage de Srepok, à Mondulkiri, sa jambe avait été endommagée par un piège.
Aujourd’hui, il marche sur une prothèse.  

Chhouk fait partie des rares « chanceux » à avoir survécu à ses blessures… Mais est condamné à la captivité pour le reste de sa vie... « La dernière chose que nous voulons faire est de garder les animaux sauvages dans une cage. Nous libérons tous ceux que nous pouvons, mais ce n'est pas toujours possible - les animaux à trois pattes ont très peu de chances de survivre dans la forêt ».  

Un ennemi, silencieux, cruel et omniprésent 

Il est peu d’endroits au monde où la faune sauvage est aussi menacée qu'en Asie du Sud-Est. Outre la perte et la destruction de l’habitat de ces animaux, une deuxième crise plus sournoise provoque des vagues d’extinctions massives dans la région : la crise des pièges. On estime à 12,3 millions le nombre de pièges installés dans les aires naturelles protégées du Cambodge, du Laos et du Vietnam, selon la dernière analyse du WWF. Des pièges souvent rudimentaires, qui tuent aveuglément les animaux sauvages qui ont le malheur d’y poser une patte.

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Il s’agit de l'un des moyens de chasse les plus cruels, car une fois capturés, la plupart des animaux agonisent pendant des jours avant de mourir de leurs blessures, de soif ou de faim. Et s’ils arrivent à s’échapper, ils succombent souvent plus tard d'une douloureuse infection causée par leurs blessures ou meurent de faim, incapables de trouver de la nourriture avec un membre blessé.

Mark Rayan Damaraj (conservation des tigres pour le WWF) se souvient avec émotion du jour où ils ont trouvé un tigre pris au piège, en pleine forêt. « Je n'oublierai jamais les rugissements d'angoisse et la peur dans ses yeux encore menaçants. Lorsque sa patte a été libérée du piège, j'ai pu voir la profonde blessure qui lui avait infligée. L'os était visible. Voir le roi de la jungle réduit à cet état vulnérable de souffrance a suscité en moi un sentiment de dégoût et de choc ». Malgré les soins prodigués, le tigre est mort quelques jours plus tard. « Il m'a fallu un certain temps pour remonter mon âme meurtrie et retrouver la motivation, mais j'ai fini par y arriver et j'ai juré de faire de mon mieux pour protéger les tigres », ajoute-t-il.

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Un danger sanitaire pour tous 

La chasse au collet est fréquemment utilisée pour capturer des animaux sauvages pour les vendre sur les marchés urbains. Cette pratique est très souvent illégale et dangereuse.

De la manipulation à la consommation d'animaux sauvages, l'utilisation de pièges augmente en effet l'exposition de l’humain aux espèces porteuses de virus potentiellement dangereux. Une grande partie des espèces sauvages visées par les pièges, notamment les ongulés et les carnivores, ont été identifiés comme faisant partie des groupes de mammifères présentant le plus grand risque de transmission de maladies zoonotiques (des maladies transmises des animaux sauvages aux humains).

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Besoin de solutions de toute urgence 

Poussés par la demande de produits issus du commerce illégal d'animaux sauvages, ces pièges bon marché réduisent les forêts au silence. Il est urgent de prendre des mesures pour y mettre fin, et limiter les risques pour la santé publique.

Le WWF exhorte les gouvernements de la région à renforcer la législation actuelle et à impliquer les communautés locales et les populations autochtones dans la résolution de cette crise des pièges. Une bonne collaboration avec elles est essentielle pour trouver des stratégies mutuelles de protection des écosystèmes desquels elles dépendent.

Des ressources supplémentaires sont aussi nécessaires pour soutenir les zones nationales protégées et les patrouilles d’écogardes. Car les patrouilles à pied sont de loin la stratégie la plus efficace pour détecter les pièges. Rien que dans la province du Mondulkiri par exemple, les patrouilles soutenues par le WWF retirent en moyenne 1 000 pièges par mois. Pourtant, ce n’est pas encore assez : seule une petite proportion des pièges est éliminée par les patrouilles. Le nombre d’écogardes est largement insuffisant, la forêt beaucoup trop vaste et les pièges, difficiles à trouver.

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Il est également urgent d'intensifier les efforts de lutte contre le trafic d'espèces sauvages. Les marchés et les restaurants qui vendent des espèces à haut risque doivent fermer, et la consommation d'espèces sauvages à haut risque doit être interdite.

Enfin, les lois doivent être mises à jour afin de garantir l'interdiction de l'utilisation et de la possession de pièges. La législation nationale doit être à la fois complète et appliquée de manière cohérente.

Lire le rapport